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GASTON BALANDE, DEUXIÈME : le "Musée" de SAUJON (2)

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C'est en 1926 que Balande peint ces Baigneuses et, là encore, sa touche coloriste, large et généreuse, s'exprime avec volupté. Les corps, sculpturaux, sont ourlés de sombre de façon à mettre le modelé des chairs en valeur. Les reflets rendent l'eau du lac ou du coude de rivière transparente et éclatante de lumière, tandis qu'au premier plan, l'herbe, couchée en touches inclinées, se conjugue dans une vaste palette de verts dorés. Le coup de génie de la robe jaune cirton, aux dentelles discrètes, sur laquelle est assise le modèle de gauche, se conclut avec talent par la toute petite touche de rouge franc, qui surgit sous le vêtement.


Mais surtout, son sens de la mise en espace fait merveille. Pardon de n'avoir pu résister mais je n'ai pas pu m'empêcher de gribouiller cette charmante toile (140 x 170 cm pas une toile de chevalet toute de même !!) pour suivre le regard de l'artiste. Aux deux lignes de force franchement verticales du corps de la baigneuse centrale et du bras de celle qui nous regarde, répondent des lignes doucement inclinées vers la droite, qui forcent presque à pencher légèrement la tête sur l'épaule, pour contempler le tableau. On est alors saisi par l'évidence de ces courbes voluptueuses, qui entourent les femmes comme une main caressante, courbes doucement reprises en écho par la végétation complice. C'est délicat, sensuel et l’œil se plie avec plaisir à cette indiscrétion paisible. Avouez que Balande a un sens très marqué de la composition !!


Moins séduisant au premier abord, L'enterrement à Saint Aignan-sur-Cher (repris au moins trois fois par l'artiste en des versions à peine différentes) date, quant à lui de 1931. 


On imagine volontiers, comme le suggérait Jessica, que Balande était venu planter son chevalet dans un pré surplombant le Cher pour y croquer un simple paysage, quand est arrivé devant la maison jaune un triste corbillard, bientôt suivi par une foule d'amis, venus accompagner un proche à sa dernière demeure. Le peintre n'a pas hésité : il a aussitôt saisi l'ambiance tout à fait particulière de ces funérailles campagnardes. 


Les habits sombres, l'air un peu compassé de la foule encore silencieuse, le cocher assis sur le corbillard la tête penchée en avant ...


puis le curé qui arrive, suivi d'une troupe de servants de messe que ses acolytes ont un peu de mal à "tenir" et à rassembler sagement ...


... et enfin, au fond, la famille en grand deuil qui descend à la queue leu leu le perron de la maison pour venir prendre dignement la tête du cortège. L'air est léger, et l'ambiance est bien celle de ces enterrements de campagne où suivre le corbillard se transforme vite en une gentille promenade où l'on en profite pour parler aux voisins pas vus depuis longtemps. C'est ici le talent de conteur du peintre qui apparait, le peintre qui aimait peindre des foules, des rassemblements, des manifestations en plein air où chacun, même à peine suggéré, occupe une place précise et indispensable. 


On retrouve son amour de la foule et son plaisir de l'anecdotique dans cette Plage de l'île de Ré (108 x 149) que l'artiste traite dans son style "vitrail", franchement coloré et soulignant franchement chaque silhouette d'un épais trait noir. On est en 1950 et si l'île de Ré n'a pas encore la fréquentation qu'elle connait aujourd'hui, les dimanches d'été voient s'y presser de nombreux baigneurs. Au loin, le paysage est traité en larges plages de couleurs soutenues, dessinant un horizon paisible. L'Océan est calme, inondé de lumière, et la foule se presse dans une crique accueillante aux bains de mer. Les vacanciers sont animés, jouant, se baignant, discutant, admirant le large comme les trois personnages vus de dos, juchés sur une petite dune d'herbe, vivants, amicaux même. 


Si vous regardez chacun des personnages, presque tous ont une attitude précise, même s'ils ne sont que suggérés : la femme qui relève ses cheveux devant la spectatrice en jaune, l'enfant au bonnet bleu qui se frotte les yeux a sans doute reçu du sable dans le visage et son copain au bonnet rouge est désolé.... la jeune fille blonde, à la robe blanche rayée de bleue, est heureuse, cela se voit, même de dos, à la façon dont elle enlace son petit frère et sa mère ... l'attention que porte Balande aux individus est, toujours, très pointue, très bienveillante et anime ses toiles d'une ambiance qui lui est propre : celle d'une vie, douce et paisible.


L'attention de Balande aux êtres et aux ambiances, le fait s'intéresser aux manifestations visuelles du développement rapide de l'industrie durant sa fin de vie. Il a vécu toutes les Trente Glorieuses et il en a tiré de nombreuses toiles sur des sujets qu'on n'a pas coutume de voir sous le pinceau des artistes : aciéries, chantiers, hauts fourneaux : comme il peignait les scènes de port et les marins rentrant de la pêche, il n’hésite pas à représenter l'intérieur des usines et les ouvriers au travail. Je vous ai déjà montré la Raffinerie de pétrole du Hâvre de 1960 qui figure à la mairie de Saujon, ou les prévoyants de l'Avenir (12ème photo dans l'article qui en comporte 28 !!), de La Rochelle qui montre la construction d'une "ville nouvelle" en 1960 aussi. La mairie de Saujon conserve une autre toile, un peu plus ancienne : La fusion de l'acier à Knutange date de 1956 et s'émerveille devant le jeu des couleurs que provoque le fourneau à la gueule béante situé sur la gauche de la scène. Les hommes, caparaçonnés de protections illusoires mais lourdes, y font face vaillamment, à la manière de chevaliers héroïques des temps moderne. Inclinés vers la flamme menaçante, ils brandissent de dérisoires lances comme pour attaquer le monstre redoutable. Ici encore la composition, les couleurs, la simplification des formes, tout concourt à rendre le sujet d'une grande efficacité visuelle.


La toile la plus récente du peintre exposée à Saujon est cet étonnant Pierrot de 1962. Balande a 82 ans quand il peint cette scène et son pinceau n'a pas pris une ride. On est sur la place de la République de La Rochelle (on reconnait à droite la façade de la cathédrale Saint Louis) et au milieu d'une foule bigarrée et mouvante, le Pierrot montre son chien savant. Installés sur une estrade, les saltimbanques offrent à la foule joyeuse un spectacle  vers lequel les petits enfants tirent leurs parents.


Peut-être que la femme au fichu mauve, n'avait pas trop envie de s'approcher mais ses deux gamins l'ont convaincue de venir. Le barbu, à sa gauche, peut-être le père des garçons, ne boude pas son plaisir et s'amuse autant que les enfants !!


De l'autre côté, une mère en robe à pois, brandit son bébé pour qu'il profite du spectacle, autour d'elle les enfants rient et s'extasient ! Il faut dire que la scène est cocasse :

au centre de l'estrade, un Pierrot plus blanc que blanc, a installé une voile multicolore, une vraie toile abstraite dans le tableau !! Elle figure sans doute un bateau sur lequel son chien, "vêtu" en Pierrot lui aussi, tient une rame et s'apprête, sur l'ordre de son maître, à pêcher à la ligne. Le petit chien savant regarde fort attentivement son équipier, pendant qu'à droite, une Colombine aux allures espagnoles lit sans doute une histoire au public émerveillé. Comme toujours, le trait est vif, la couleur franche mais sans excès, et le pinceau va droit au fait. L'art de Balande est ferme, vigoureux et toujours d'une grande rigueur plastique. Et il s'attache à décrire ce qu'il observe, avec une bienveillance jamais prise en défaut, pour faire participer le spectateur à l'ambiance saisie, au plus proche. Il a style vraiment personnel, du caractère et, nous l'avons largement souligné, un vrai talent de coloriste et de metteur en scène. Jamais il ne cédera aux sirènes de modes picturales qui ne lui convenaient pas. Peu avant sa mort, il déclara à un ami venu le visiter à Lauzières "C'est affreux; j'ai depuis un certain temps déjà, la visite de marchands de tableaux qui, profitant de mon âge avancé et de ma faiblesse, veulent m'acheter des peintures à vil prix, sachant bien qu'après ma mort, ces toiles aujourd'hui dépréciées, puisque ne correspondant plus à la mode d'aujourd'hui, retrouveront de la valeur. Ce matin même j'ai eu la visite de l'un d’eux que j'ai mis à la porte en lui disant son fait". J'avoue que l'anecdote me rend le peintre encore plus sympathique : Balande avait foi en ce qu'il faisait et n'entendait pas se commettre à changer sa manière "pour plaire". Il peignit jusqu'à la fin et ses toiles ont toutes, d'une façon ou d'une autre, une histoire à raconter. Nous irons, un jour prochain, à Nieuil sur mer, au moins pour voir sa tombe et, qui sait, approcher de son atelier !! En tout cas, nous verrons aussi les endroits où il s'installait pour peintre sur le motif. Vous êtes menacés d'un "Balande, troisième" !!!


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