Carpi, petite bourgade tranquille de la plaine du Pô... Siège de la Seigneurie de Pio de Savoie, la ville est passée aux Este au XVIème siècle. L'endroit est joli et paisible : une immense place devant le Castel des Pio, des églises, un musée, bref tout ce qu'il faut pour en faire une halte agréable. Soudain, on quitte la place ensoleillée sur laquelle on vient de déguster en toute insouciance un sorbet aux teintes de l'Italie, fraise, citron, pistache, et c'est le choc.
Le Musée monument aux Déportés politiques et raciaux, installé dans le château depuis 1973, vous accueille avec seize grands monolithes de béton de six mètres de haut, portant les noms de nombre de camps de concentration et d'extermination nazis. Dressées au milieu des herbes folles et de quelques rosiers symboles d'une renaissance attendue, ces stèles introduisent à une succession de salles sobres, presque vides, juste quelques objets modestes dans des vitrines discrètes.
Ce qui prime et conduit le visiteur, ce sont des phrases gravées dans les murs, des extraits de livres, de textes, de chansons, de lettres des condamnés à mort de la Résistance européenne. Ces textes, jamais haineux, désespérés mais souvent lumineux, disent la peine, la peur, l'angoisse des victimes des camps nazis, enfermés, prêts à être exécutés. Des mots simples, des mots de tous les jours qui, par l'horreur des bourreaux, deviennent des paroles éternelles...
Figlia mia, tuo padre sarà anche madre per te. (Olga, Romania)
... non è possibile che e l'uomo e la donna che mi hanno messo al mondo non siano forti. Ancora una volta vi dico addio. Coraggio. Vostro figlio. (Spartaco, Francia)
Ricordati che tuo figlio se ne va amareggiato perché non sentirà le campane della libertà. Addio. (Kostas, Grecia)
Ricordati che tuo figlio se ne va amareggiato perché non sentirà le campane della libertà. Addio. (Kostas, Grecia)
Addio e non piangete per me. Lottate e studiate. Il vostro felice padre. (Anton, Bulgaria)
Les murs de certaines pièces sont décorés avec des croquis de graffiti de peintres connus, comme Cagli, Guttuso, Léger, Longoni , Picasso, et les vitrines contiennent des objets, des documents et des photographies, documentant la vie des prisonniers dans les camps.
La dernière salle est gravée du sol au plafond des noms des 15 000 ressortissants italiens déportés dans différents camps de concentration. Noms inscrits dans le béton frais et colorés en creux avec un rouge sombre, "sang coagulé", qui en permet une lecture impitoyable.
On ne peut rien faire d'autre que de s'arrêter longuement, et de lire, sans fin, à pensée monocorde, ces listes de noms inconnus et pourtant si proches... Pour partir, on refait le chemin en sens inverse, la gorge encore plus nouée, le cœur au bord des dents. Et quand on sort, on met un long moment à s'ébrouer, à pouvoir en parler : les mots sont difficiles à trouver, mais on a besoin de les dire, fussent-ils dérisoires.
On retrouve la cour éclaboussée de lumière, on a les tripes en vrac mais on veut à toutes forces croire en la vertu de ce Monument : mémoire et espérance.
Quando il tuo corpo non sarà più, il tuo spirito sarà ancora più vivo nel ricordo di chi resta. (Sabato, Italia)