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LA FAMILLE BENTIVOGLIO À BOLOGNE

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Le Guasto : ça monte !!!

Je vous ai déjà parlé des Bentivoglio quand j'ai évoqué le jardin aménagé en 1974 sur le Guasto (échec), cet amoncellement de pierres que les bolognais (1) laissèrent derrière la nouvelle demeure de la famille dont ils avaient, en 1507, détruit le palais.

Une reconstitution d'après les documents existants du Palais Bentivoglio détruit en 1507 par la fureur populaire et dont les pierres ont formé le Guasto (ci-dessus)

Les Bentivoglio occupèrent une place prépondérante dans la ville dès 1323. D'abord maîtresse du château du même nom situé dans les environs de Bologne, la famille prétendait descendre d'Enzio, roi de Sardaigne, fils illégitime de l'empereur Frédéric II. Prenant la tête de la faction gibeline (favorable au pouvoir de l'empereur) la famille exerça rapidement une forte influence au sein de la haute aristocratie bolognaise. En 1401, Giovanni 1er, soutenu par Gian Galeazzo Visconti, se proclama en seigneur de Bologne. Mais rapidement les Visconti, jaloux et inquiets de sa nouvelle puissance et de sa popularité, se retournèrent contre lui, et Giovanni fut tué à la bataille de Casalecchio, en 1402. Son fils unique, Anton Galeazzo (vers 1385-1435), abandonna sa carrière de juriste pour reprendre le flambeau mais en 1420 il fut renversé par des factions ennemies. Il fut assassiné le 25 décembre 1435, par des sicaires du pape Martin V qui craignait son influence grandissante à Bologne. Les Bentivoglio ne se considéraient pas pour autant comme vaincus : Annibale Ier, un des fils d'Anton, que ses adversaires politiques accusaient de bâtardise (1) prit, en 1438, la tête d'une révolte urbaine contre la tyrannie pontificale. Homme politique redoutable, mais au fond homme de paix, il s'efforça de pacifier les relations avec les Visconti de Milan et de convaincre le pape de renoncer au pouvoir temporel archaïque qu'il prétendait exercer sur Bologne au mépris des droits de ses habitants. Il fut assassiné en juin 1445 par un aristocrate rival, Battista Canneschi, dont on sait que la main avait été armée par le pape Eugène IV. Son successeur, Sante Ier (1426-1463), un petit cousin, se fit passer pour le fils d'un humble forgeron, ayant commencé sa vie comme apprenti dans l'art de la laine à Florence. Les Bolonais, attachés à leur dynastie, l'envoyèrent chercher à Florence et lui confièrent le gouvernement de leur ville. Soutenu par les Médicis, Sante Bentivoglio put gouverner la ville dans le calme politique et, son règne fut une période de prospérité économique pour Bologne. Bien sûr le pape restait le souverain théorique, mais Sante acquit suffisamment d'autonomie pour mener à bien le développement de sa ville. 

Sculpté en 1886-87 par Guiseppe Romagnoli, le couple Giovanni II fut commandé par un descendant de la famille qui désirait célébrer le lustre d'antan. Les personnages furent modelés en s'inspirant du retable de Lorenzo Costa conservé dans la chapelle Bentivoglio de l'église San Jacopo de Bologne.



À sa mort en 1462, et bien qu'il eut un fils, Sante eut pour successeur son pupille Giovanni II (1443-1508), le fils orphelin d'Annibale Ier. Ami des arts et des lettres, collectionneur avisé, Giovanni II eut un règne long et brillant qui fut comme un apogée de la dynastie, mais il fut en définitive le dernier prince de Bologne. Il donne à la ville un vrai essor politique, urbanistique, artistique et civil. Mais les papes ne supportaient plus l'insolente indépendance de Bologne, qui défiait leurs insatiables ambitions temporelles, et la propagande pontificale sut habillement susciter le ressentiment de la population bolognaise contre ses maîtres.

La Pala Bentivoglio par Lorenzo Costa :  Giovanni II et Ginevra eurent 16 enfants : 11 sont représentés ici (les 5 autres sont morts en bas âge). voir note (3)

Jules II fit tant et si bien qu'en 1506, le peuple en colère chasse Giovanni II de la ville. Bologne revint sous le joug pontifical, malgré une tentative de Giovanni de reprendre la cité. Il y gagna d'être excommunié, et finalement fut fait prisonnier par Louis XII, qui le laisse mourir en 1508 dans un cachot du Castello Sforzesco à Milan. Un de ses fils, Annibale II (1469-1540), époux de Lucrezia d'Este, une fille illégitime du duc Ercole Ier de Ferrare, brandit une dernière fois l'étendard des Bentivoglio. Un temps condottiere, il n'hésita pas à entrer en campagne contre Jules II, et entra dans Bologne en triomphateur en 1511, avec l'aide des Français (bizarre revirement ). Pourtant, son règne d'Annibale II ne dura qu'un an et, il fut finalement assassiné par d'autres nobles jaloux.

Le palazzo Bentivoglio actuel

Quelques années plus tard, au milieu du XVIe siècle, un nouveau palais fut construit par le comte Costanzo, un membre de la famille, sans prétention au pouvoir et non impliqués dans les combats précédents. C'est l'actuel palais Bentivoglio qui se dresse à proximité des ruines de l’ancien. Le salon d'honneur était achevé en 1564, on le sait car y fut représenté un opéra, "L'inconstance de la fortune". Le palais fut moult fois agrandi, surtout au début du XVIIIème siècle, et en 1713, le comte Fulvio la fin de ses deux mois de gonfalonat par une grande fête : au centre de la salle a été installé un grand bassin d'eau, entouré de fleurs, à la surface duquel flottait des bateaux remplis de nourriture qui naviguaient vers les invités, assis tout autour.


Outre l'insigne retable de Costa, la ville conserve cette oeuvre, beaucoup plus modeste, d'auteur inconnu, représentant une Vierge adorant l'Enfant, entre Saint Antoine Abbé (à droite) et Bernardin de Sienne, reconnaissable à son édentement et au livre qu'il tient sous le bras, à gauche. Le blason de gauche est celui des Sforza, et celui de droite, fort abîmé, celui de la famille Bentivoglio.


Cela a permis de supposer que le retable fut commandité pour le mariage de Giovanni II avec Ginevra Sforza, célébré en 1465. 


La prédelle raconte, avec la verve coutumière, des épisodes de la vie de Saint Bernardin : la tradition populaire du Moyen Âge lui attribue plus de 2000 guérisons miraculeuses (2), dont beaucoup post mortem. Les deux premières scènes représentent des guérisons d'enfants. Un enfant noyé dans un baquet et un enfant démantelé par les roues d'un moulin sont rendus à leurs parents émerveillés. La dernière montre la scène précédant le miracle : Bernardin, allant prêcher, devait traverser une rivière et ne pouvait obtenir le passage de la part d'un batelier cupide auquel il n'avait rien à donner. Vous voyez le saint faire "non" avec l'index alors que le batelier tend une main avide !! À gauche les frères déçus s'apprêtent à faire demi tour. Bernardin qui n'allait pas s'arrêter pour si peu, étendit alors son manteau sur les eaux, et, montant sur ce frêle esquif, passa la rivière.
Les lésènes latérales égrènent une théorie de saints ...


... tandis que, dans la scène centrale, le minuscule cochon de saint Antoine se fait tout petit, n'osant pas troubler de ses grognements cette scène sacrée. 


De la bouche de la Vierge s'échappe en lettres d'or, écrite à l'envers pour "plus de vraisemblance", l'acceptation de sa mission divine, tandis que repose sur les marches de marbre blanc la pomme, signe du péché originel dont son Fils vient sauver les hommes.


Mais le symbole le plus intéressant est l’œuf suspendu au-dessus de la tête de Marie, métaphore de l'Univers. L’œuf représente le premier microcosme parfait, la prima materia chaotique qu'il faut rompre pour évoluer. Il contient en effet en lui-même les quatre éléments : la Terre (la coquille), l'Eau (le blanc), l'Air (la poche d'air) et le Feu (le jaune). De plus, à l'intérieur de l’œuf, se trouvent les semences du mâle et de la femelle, déjà unis ensemble. D'ailleurs, si l'on admet que c'est un œuf d'autruche, l’œuf rappelle alors aussi la naissance immaculée de la mère de Dieu, car on croyait que l'autruche couvait ses œufs en les exposant à la lumière du soleil et sans l'intervention d'aucun autre agent. On le trouve dans "La Sainte conversation" de Pietro della Francesca (1472/1474) qui est à la Pinacothèque de la Brera (Milan), dans la partie centrale du polyptique de Mantegna à Vérone ou enfin chez Lorenzo Costa. Ce qui traduit chez ce artiste anonyme des influences prestigieuses ! Dali le reprit dans sa Madonne de Port Lligat !



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(1) Ils allaient jusqu'à prétendre que sa mère, Lina Canigiani, était elle-même incertaine quant à la paternité de l'enfant et qu'un coup de dés avait tranché la question.
(2) Source : Jansen Philippe. Un exemple de sainteté thaumaturgique à la fin du Moyen Âge : les miracles de saint Bernardin de Sienne. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Âge, Temps modernes T. 96, N°1. 1984. pp. 129-151
(3) De gauche à droite : 1. Camilla 2 . Eleonora 3 . Isotta 4 . Laura 5 . Violante 6. Francesca 7 . Bianca 8. Annibale 9. Antongaleazzo 10. Alessandro 11. Ermes. Camilla et Isotta furent nonnes,  Francesca, épousa Galeotto Manfredi, et le retable fut réalisé (août1488) à peine quelques mois après l'assassinat de son mari. Quant aux fils, Ermes, encore un enfant en 1488, volontiers décrit comme irascible, pervers, voire bestial, sans doute à cause du massacre de la famille Marescotti en 1501 ; Antongaleazzo, représenté en habit de prélat et qui désirait obtenir la pourpre cardinalice, ce que, bien entendu, le pape lui refusa toujours ; Annibale enfin, aussi fier et sûr de lui, avec sa main sur la hanche et son habit élégant, que son père était timide et réservé. A l'époque de la peinture, il venait d'épouser Lucrezia d'Este. C'est lui qui, après la mort de son père et l'exil de la famille, tenta avec Ermes, de revenir à  Bologne. Perdant espoir de reprendre le pouvoir, il s'installa à Ferrare où il fit souche.

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