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Outre la richesse de la collection prêtée, l'exposition Pearlman à Aix avait un autre intérêt : permettre, en visitant ensuite la collection aixoise d'art moderne du musée Granet, de cerner la personnalité de deux collectionneurs inspirés. Le billet du musée permet en effet de visiter l'exposition, mais aussi la nouvelle extension du musée qui, dans la Chapelle des Pénitents admirablement réaménagée, présente (prêtée pour 30 ans, cela vous laisse le temps !) une deuxième collection : celle de Jean Planque. Et, s'il est vrai qu'une collection reflète bien l'état d'esprit à l'égard de l'art de celui qui l'a constituée, le rapprochement de ces deux ensembles est, à mon sens, vraiment passionnant.
Monsieur Pearlman, dont j'ai déjà parlé longuement (voir plus haut les liens vers les 4 articles consacrés à l'exposition) était un bonhomme très enthousiaste, qui s'est lancé dans sa collection avec ardeur et est rapidement devenu un acheteur apprécié des galeristes. Il acheta assez tôt pour les œuvres d'art, mais se les procurait plutôt aux puces ou chez des brocanteurs ou antiquaires locaux. Sa véritable passion commença en 1945, avec l'acquisition d'un Soutine en vente publique, qu'il était manifestement très fier d'avoir "emporté" !! Dès lors, un nouveau monde s'ouvrait à lui, et rapidement il éprouva le besoin de venir en Europe, pour agrandir sa collection, découvrir d'autres styles et rencontrer des artistes. Sa première incursion dans le modernisme parisien révéla un œil avisé, et surtout un vrai instinct pour ce tout nouveau monde, qui s'ouvrait à lui. Fort aisé, il avait une entreprise très rentable, il payait assez cher et n'hésita pas à commander des œuvres comme son portrait par Oskar Kokoschka ou un buste de lui réalisé par Jacques Lipchitz. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agissait plus de connaitre et de côtoyer des artistes, de les aider aussi en leur passant commande, que de se mettre en avant ou de faire preuve de vanité. Nous avons déjà parlé de son amitié sincère pour Kokoschka, ses motivations quand il demanda à Lipchitz de faire son portrait en bronze étaient un peu identiques : l'atelier du sculpteur avait été détruit par un incendie en 1952, et il ne fait aucun doute qu'il pensait, par cette commande, l'aider à remonter la pente.
Il fut rapidement connu du milieu artistique et eut des contacts privilégiés avec le monde de l'art new-yorkais, qui lui permettaient de faire des achats judicieux et originaux. Désireux de découvrir, de progresser et d'apprendre - après tout, c'était un monde nouveau pour lui - il passait pas mal de temps dans les musées et dans les archives. Mais surtout il aimait à venir sur les sites où les artistes avaient peint, afin de voir les lieux représentés et de s'imprégner de l'ambiance qui entourait les peintres aimés. Lors de son premier voyage en Europe, il cherchait à Céret les paysages devant lequels Soutine avait planté son chevalet, et n'eut de cesse de faire de même plus tard, quand il s'éprit de Cézanne. Il s'attacha d'ailleurs à quelques artistes en particulier, cherchant alors à réunir un maximum d'oeuvres d'eux. C'est ainsi qu'il acquit une bonne trentaine de Cézanne, après avoir accumulé les Soutine.
Riche mais sans excès, il n'avait pas forcément des moyens extensibles et infinis : du coup ses achats, même importants, sont toujours très raisonnés. Et quand il "craque" comme il le fit pour le Van Gogh, il négocie au mieux, n'hésitant pas à pratiquer l'échange contre des œuvres auxquelles il renonce pour posséder l'oeuvre convoitée. Parfois aussi il revend, pour s'offrir des toiles trop chères pour lui. Il avait une sorte de fascination indéfectible pour la "chasse"à l'affaire. Pour ses achats, il suit avec confiance ses propres goûts et ne se laisse nullement influencer par la mode ou une certaine "norme" de l'art moderne : il achète ce qu'il "sent", ce qui lui plait. A partir de 1945, et durant les 30 années qui lui restent encore à vivre, il n'a de cesse que de renforcer sa collection, par des achats, mais aussi des ventes et des échanges. Il a un flair de chasseur, et le plaisir de découvrir des œuvres peu habituelles d'un artiste, ou perdues, ou moins cotées, fait aussi partie de sa passion.
La dernière caractéristique de ce collectionneur avisé, aux goûts affirmés, excellent gestionnaire et fidèle dans ses choix et ses goûts, était sa générosité. Non content d'aider les artistes avec délicatesse, il aime aussi partager ses toiles. Très rapidement, dès le début des années 50, sa femme et lui commencent à prêter volontiers leurs œuvres, au début pour des rétrospectives, comme pour Soutine, ou Modigliani. Puis il prêta sa collection pour une exposition dont les bénéfices étaient offerts pour une collecte de fonds destinée à une organisation aidant les populations immigrées installées à New York. En 1955, sa femme et lui créèrent une Fondation sans but lucratif, qui deviendra plus tard propriétaire de leur collection et qui, dès 1958, organisa une exposition de 27 tableaux choisis, prêt anonyme au Musée d'Art de Baltimore. Depuis les prêts de la collection n'ont jamais cessé et cette dernière, hébergée maintenant par le Musée d'Art de l'Université de Princeton a d'abord "tourné" dans tous les Etats Unis, et, depuis 2010, vient régulièrement en Europe soit par thème (Soutine à L'Orangerie en 2013) soit au titre de la collection dans son ensemble comme à Aix.
Jean Planque, qui a consacré sa vie à constituer la superbe collection du Musée Granet, était tout aussi passionné que Pearlman, mais d'un tempérament manifestement différent. Né en Suisse en 1910, il était assez peu assidu à l'école, et devient rapidement magasinier. Mais ses parents l'inscrivirent cependant à l'Ecole de Commerce de Lausanne, où il finit par décrocher un diplôme à l'âge de 19 ans. Mais il "attrapa" là une autre passion que la bosse du commerce : sur le chemin de l'école, il passait devant la galerie Valloton, et tomba un jour en arrêt devant un bouquet de roses de Renoir. Il n'avait jamais entendu parler du maître français, et, rentrant dans la galerie pour demander le prix de cette petite peinture, il fut scandalisé par la somme annoncée. Il se rabattit alors sur une toile qui lui semblait plus modeste, inachevée selon lui : encore plus chère ! C'était un Cézanne !!
Installé à Bâle où il travaille pour une compagnie d'assurances, il apprend le piano et se met à l'aquarelle. Guidé par un ami, lui aussi peintre et musicien, il découvre l'art et les musées. Pourtant une autre aventure lui arrive à Bâle : passant devant la vitrine d'un marchand d'aquarelles de Klee, il les prend pour des dessins d'enfant. La révélation de cet art transforme son approche de la peinture. Mais, ayant charge de famille et devant travailler pour faire vivre les siens, il multiplie les petits boulots : voyageur de commerce au service d’un fabricant d’aliments pour le bétail, vendeur de chaux aux paysans durant la guerre, il n'a pas trop de temps à consacrer à son passe-temps. Pourtant, excellent vendeur, il parvient à ne travailler qu'à temps partiel, ce qui lui permet de peindre, et de rencontrer des gens du milieu artistique. Il achète même à cette époque quelques tableaux importants pour le compte d’une connaissance. En 1945, il met au point avec un ami chimiste un concentré révolutionnaire pour nourrir les porcs, dont la commercialisation lui assure une rente lui permettant de pouvoir enfin se livrer à son hobby !
Il part alors faire son "tour" d'Italie, et revenu en Suisse, il pousse par hasard la porte de la galerie Tanner à Zurich, qui lui offre une collaboration pour quelques mois. Son invention marche bien et dégage assez de bénéfices pour lui permettre de s'installer à Puyloubier près d’Aix-en- Provence afin de suivre les traces de Cézanne, le peintre qu’il admire le plus. En 1951, il s'inscrit à l'école de la Grande Chaumière à Paris, dont il suit les cours avec assiduité, fréquentant aussi les musées : très ému par des toiles de Manessier, il décide dès lors de fréquenter désormais les galeries de peinture contemporaine. Malheureusement en 1954, son invention n'ayant pu être brevetée, il se retrouve dans l'obligation de gagner sa vie. Mais cette fois-ci, il ne vendra plus des engrais, de la chaux ou des assurances, mais des peintures. Il entre dans la galerie d'Ernst Beyeler où il restera jusqu'en 1972.
Dès lors, il fréquente artistes et amateurs d'art, il rencontre Dubuffet, Sonia Delaunay, Bazaine, Bissière, Clavé, Hantaï, Hans Berger, Kosta Alex, avec lesquels il tisse des liens d’amitié. Et, rencontre primordiale pour sa collection, le jour de ses 50 ans il fait la connaissance de Picasso qui lui vendra de nombreuses toiles. Il mourra en 1998, âgé de 88 ans, d'un accident de voiture.
Planque fut un collectionneur nettement moins aisé que Pearlman, mais, galeriste, il était particulièrement bien placé pour acheter, et faire de belles affaires. Peintre, quoiqu'autodidacte, il avait une approche de l'art sans doute plus progressiste que Pearlman, et sa collection petit à petit devient de plus en plus "moderne". Amoureux comme lui de Cézanne dans sa jeunesse, il achète par la suite des œuvres beaucoup plus difficiles. Mais on sent, en visitant sa collection, un goût très sûr et pas plus que Pearlman, jamais il ne cède aux "tendances" de la mode. Très attaché à ses choix et à ses achats, il conserve toutes ses toiles, et vit entouré de sa collection qu'il affectionne au point de ne pouvoir s'en passer. Sa collection compte quelque 300 peintures, dessins et sculptures depuis les impressionnistes et les post-impressionnistes, Renoir, Monet, Van Gogh, Degas et Redon jusqu'aux artistes majeurs du XXe, tels Bonnard, Rouault, Picasso, Braque, Dufy, Léger, Klee, de Staël ou Dubuffet. Très cohérente, elle reflète l'évolution de son goût et de sa sensibilité artistique, soucieux de comprendre ce qui constitue le secret de l'évolution de l'art au XXe siècle, de ne pas s'encroûter dans des habitudes ou des goûts préétablis, en un mot de rompre avec le "bon goût"établi par la tradition. Jean Planque a souvent raconté combien la rencontre avec Picasso et les enseignements de Dubuffet l'avaient peu à peu convaincu de « désapprendre » la peinture, de se défaire des idées reçues à son propos.
Installé à Bâle où il travaille pour une compagnie d'assurances, il apprend le piano et se met à l'aquarelle. Guidé par un ami, lui aussi peintre et musicien, il découvre l'art et les musées. Pourtant une autre aventure lui arrive à Bâle : passant devant la vitrine d'un marchand d'aquarelles de Klee, il les prend pour des dessins d'enfant. La révélation de cet art transforme son approche de la peinture. Mais, ayant charge de famille et devant travailler pour faire vivre les siens, il multiplie les petits boulots : voyageur de commerce au service d’un fabricant d’aliments pour le bétail, vendeur de chaux aux paysans durant la guerre, il n'a pas trop de temps à consacrer à son passe-temps. Pourtant, excellent vendeur, il parvient à ne travailler qu'à temps partiel, ce qui lui permet de peindre, et de rencontrer des gens du milieu artistique. Il achète même à cette époque quelques tableaux importants pour le compte d’une connaissance. En 1945, il met au point avec un ami chimiste un concentré révolutionnaire pour nourrir les porcs, dont la commercialisation lui assure une rente lui permettant de pouvoir enfin se livrer à son hobby !
Il part alors faire son "tour" d'Italie, et revenu en Suisse, il pousse par hasard la porte de la galerie Tanner à Zurich, qui lui offre une collaboration pour quelques mois. Son invention marche bien et dégage assez de bénéfices pour lui permettre de s'installer à Puyloubier près d’Aix-en- Provence afin de suivre les traces de Cézanne, le peintre qu’il admire le plus. En 1951, il s'inscrit à l'école de la Grande Chaumière à Paris, dont il suit les cours avec assiduité, fréquentant aussi les musées : très ému par des toiles de Manessier, il décide dès lors de fréquenter désormais les galeries de peinture contemporaine. Malheureusement en 1954, son invention n'ayant pu être brevetée, il se retrouve dans l'obligation de gagner sa vie. Mais cette fois-ci, il ne vendra plus des engrais, de la chaux ou des assurances, mais des peintures. Il entre dans la galerie d'Ernst Beyeler où il restera jusqu'en 1972.
Dès lors, il fréquente artistes et amateurs d'art, il rencontre Dubuffet, Sonia Delaunay, Bazaine, Bissière, Clavé, Hantaï, Hans Berger, Kosta Alex, avec lesquels il tisse des liens d’amitié. Et, rencontre primordiale pour sa collection, le jour de ses 50 ans il fait la connaissance de Picasso qui lui vendra de nombreuses toiles. Il mourra en 1998, âgé de 88 ans, d'un accident de voiture.
Les deux Degas : celui de Pearlman à gauche, et celui de Planque : ce dernier, moins riche, n'a pu s'offrir "qu'un" pastel, mais le goût, aux moins dans les premiers temps, est bien le même !
Planque fut un collectionneur nettement moins aisé que Pearlman, mais, galeriste, il était particulièrement bien placé pour acheter, et faire de belles affaires. Peintre, quoiqu'autodidacte, il avait une approche de l'art sans doute plus progressiste que Pearlman, et sa collection petit à petit devient de plus en plus "moderne". Amoureux comme lui de Cézanne dans sa jeunesse, il achète par la suite des œuvres beaucoup plus difficiles. Mais on sent, en visitant sa collection, un goût très sûr et pas plus que Pearlman, jamais il ne cède aux "tendances" de la mode. Très attaché à ses choix et à ses achats, il conserve toutes ses toiles, et vit entouré de sa collection qu'il affectionne au point de ne pouvoir s'en passer. Sa collection compte quelque 300 peintures, dessins et sculptures depuis les impressionnistes et les post-impressionnistes, Renoir, Monet, Van Gogh, Degas et Redon jusqu'aux artistes majeurs du XXe, tels Bonnard, Rouault, Picasso, Braque, Dufy, Léger, Klee, de Staël ou Dubuffet. Très cohérente, elle reflète l'évolution de son goût et de sa sensibilité artistique, soucieux de comprendre ce qui constitue le secret de l'évolution de l'art au XXe siècle, de ne pas s'encroûter dans des habitudes ou des goûts préétablis, en un mot de rompre avec le "bon goût"établi par la tradition. Jean Planque a souvent raconté combien la rencontre avec Picasso et les enseignements de Dubuffet l'avaient peu à peu convaincu de « désapprendre » la peinture, de se défaire des idées reçues à son propos.
Planque et Pearlman, deux amoureux de Cézanne
Pour conclure, autant la collection de Pearlman est le reflet d'un regard d'amateur qui a choisi, charnellement, ses achats, et n'a eu de cesse que d'en trouver de plus beaux, puis de les partager, autant celle de Planque montre l'évolution d'un goût, la passion pour l'évolution de l'art et la modernité bien comprise. Ces deux collections, vues l'une après l'autre, nous décrivent deux personnalités différentes, mais deux passionnés qui, à travers leur démarche de collectionneur, nous ont laissé matière à découvrir, à apprécier, à comprendre la peinture du XXe siècle. Qu'ils en soient remerciés !