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Channel: Bon sens et Déraison
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FEMMES À BOLOGNE

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Récemment aménagé par l'architecte Mario Bellini dans les salles XVIIIe du Palazzo Pepoli, le musée raconte les temps forts des mutations de la ville de la période étrusque à nos jours d'une façon très didactique et vraiment passionnante. Sa dernière salle, un peu en apothéose, présente un cycle intéressant et particulier près duquel Bon Sens et Déraison ne pouvait rester insensible : il s'agit de la galerie de 12 portraits des principales figures féminines ayant compté sur la scène culturelle de la ville du XIIIème à la fin du XVIIème siècle. Pas plus tard car ce sont des terres cuites du XVIIème, dont la présence est attestée par une miniature représentant le salon du palais Fibbia Fabbri (aujourd'hui Masetto Calzolari) à l'occasion des fêtes organisées par l'archevêque de Milan en 1716, puis en l'honneur du duc et électeur de Bavière Charles Albert en 1737. Le scultpeur, inconnu, a été surnommé "Scultore di Casa Fibbia" et les bustes ont été réalisés entre 1680 et 1690.


La première, Bettisia Gozzadini (1209 -1261) née dans une famille noble, était la fille de Amadore Gozzadini et Adelasia de Pegolotti. Elle apprit la jurisprudence et la légende veut qu'elle y fut si douée que ses maîtres la qualifiaient de "monstre exceptionnel". Vivement impressionnés ses professeurs, Giacomo Baldavino et Tancredi Arcidiacono,  l'ont poussée à soutenir un doctorat en droit qu'elle obtint brillamment le 3 Juin 1236. Elle commença à enseigner à son domicile, puis dans les écoles de Bologne. Ses capacités oratoires étaient telle qu'on lui offrit une chaire à l'université. Qu'elle refuse dans un premier temps mais, l'ayant acceptée, elle en resta titulaire jusqu'à sa mort. On dit qu'elle dispensait ses cours déguisée en homme et a probablement été la première femme à occuper un poste dans une université. Ses cours étaient si populaires qu'elle ne pouvait pas les dispenser en amphithéâtre, mais devait les faire sur une place publique. En 1242, elle fut même invitée, en raison de ses compétences en art oratoire, à prononcer l'oraison funèbre pour les funérailles de Enrico della Fratta, évêque de Bologne. Elle est morte en novembre 1261, en ​​raison de l'effondrement de la maison où elle vivait sur ​​la rive de la rivière Idice .


Giovanna Bianchetti Bonsignori (1314-1354), était l'épouse d'un célèbre docteur en droit, dont elle eut d'ailleurs quatre enfants (tous avocats !). Experte en droit canon et en droit civil, mais aussi femme de lettre, poète et même polyglotte, c'était une femme très cultivée et fort brillante. Sa culture et sa "vertu" lui assurèrent une place privilégiée à la cour de l'empereur Charles IV.


Bettina Calderini (1311-1355). Fille du juriste Giovanni d'Andrea Calderini, elle épousa de Giovanni Sangiogi, juriste lui aussi, et le suivit à Padoue où elle approfondit ses études de droit et de philisophie. Fameuse, comme sa sœur Novella, pour sa beauté, elle enseignait, comme elle, la jurisprudence. La légende dit qu'elle était si belle qu'elle devait enseigner cachée derrière un écran afin de ne pas perturber ses étudiants ! Elle mourut jeune et ses admirateurs lui dédièrent une stèle dans la basilique Saint Antoine de Padoue.


Novella Calderini (....-1386), sœur de Bettina, épousa elle aussi un juriste, Giovanni da Legnano qu'elle remplaçait à la chaire de droit quand ce dernier était empêché d'enseigner à cause de son service auprès de la curie papale. Le sculpteur l'a représentée coiffée du voile qu'elle revêtait à cette occasion, le souci étant toujours de ne pas troubler les élèves !


Dorotea Bocchi (1390 - 1436), était la fille d'un professeur de philosophie morale et de médecine. Elle étudia la médecine et, docteur à son tour dans cette discipline, elle fut conviée à remplacer son père à la chaire de ce dernier lorsque celui-ci mourut. Pour son travail, elle fut même payée : on parle de 100 lires, ce qui semble avoir été une bonne rétribution, qui est d'ailleurs mentionnée dans les chroniques de l'époque.



Maddalena Bianchetti Bonsignori (... - 1396) elle aussi éminent professeur de droit de 1380 à 1396, année de sa mort, fut en particulier l'auteur d'un livre "De Legibus connubialibus", sur les lois du bon gouvernement, les rapports matrimoniaux. Livre dans lequel elle chercha à inventer pour les femmes "une condition" entre la sphère de la vie professionnelle et celle de la vie privée. Légitime préoccupation pour cette femme qui devait concilier ces deux états.


Properzia dè Rossi (1490-1530) était, quant à elle, une sculptrice de talent, louée par Vasari. Elle eut de nombreuses commandes, et fut même demandée pour décorer la basilique San Petronio de la ville. Très belle, elle avait aussi une forte personnalité : elle vivait en concubinage, et fut citée deux fois dans des procès pour des problèmes d'agression. Vasari dit d'elle qu'elle était "virtuose avec une science infinie", d'esprit très droit", et d'un tel talent qu'elle était "enviée non seulement par les femmes mais aussi par les hommes".


Lavinia Fontana (1552-1614) était, à ma grande honte, la seule dont j'aie jamais entendu parler. Et pour cause, elle fut peintre !  Elle commença sa carrière artistique sous la conduite de son père, Prospero Fontana. Épouse comblée, elle fut admirée par son mari, Giovanni Paolo Zappi, lui aussi peintre, qui la soutint avec ardeur tout au long de sa vie., devenant même son assistant. De goût maniériste, elle peignit des scènes religieuses, mythologiques, pour des retables, et aussi, chose rare, des nus, masculins ou féminins. À 52 ans le pape Clément VIII l'appela à Rome et la nomma peintre de la cour où elle exerça ses talents de portraitiste. "Peintre pontificale", enviée de tous, elle menait de pair sa vie d'épouse - elle eut 11 enfants - et son intense travail d'artiste. Frappée par une crise mystique en 1613, elle se retira dans un monastère, toujours avec son époux... enfin sans doute pas dans le même couvent !! Elle mourut à Rome à 62 ans en 1614, entourée de ses 3 enfants survivants. Une femme exceptionnelle qui a laissé des œuvres insignes et inhabituelles pour une femme peintre, puisqu’elle réalisa même des batailles.


Constanza Bocchi (... - 1566 ou 1569) : fille de l'humaniste Achille Bocchi, Constanza fut instruite par son père qui lui dispensait le grec et le latin. Poète, elle épousa Giovanni Francesco Malvezzi, membre d'une famille aristocratique de Bologne, et mourut jeune. On dit d'elle qu'elle tenait des discours qui remplissaient de stupeur tous ceux qui l'entendaient parler. Et pour lui faire honneur, on ajoute que ses vers étaient dignes de ceux de son père ou d'autres poètes (hommes sous-entendu).


Ippolita Paleotti (1557 – 1581) était nièce du cardinal Gabriele Paleotti, et fut aussi poète, tant en latin et en grec qu'en "toscan", autant dire en langue "vulgaire". Admirée durant sa vie, elle fut saluée dans son éloge funèbre, pour sa fidélité aux modèles classiques.


Encore une érudite : Cornelia Zambeccari (1562 – 1601 ou 1609) pratiquait le grec et le latin. Poète humaniste, son oeuvre était fort appréciée et fut unanimement louée par les critiques littéraires.


Presque contemporaine de l'époque où furent réalisés les bustes, Elisabetta Sirani (1638 – 1665) fut peintre. Fille d'un peintre et marchand d'art, elle se destina à la peinture dès l'âge de 13 ans et fit ses armes dans l'atelier paternel. Elle y apprit bien sûr le dessin, la gravure et la peinture, mais reçut aussi un enseignement théorique et une culture littéraire poussée (1). Elle peignait très vite (2), et put reprendre l'atelier quand son père, atteint d’arthrose et de goutte ne put plus en assurer la direction. C'est ainsi qu'elle reçut sa première commande publique en 1658 par l'église de la Chartreuse de Bologne, un tableau représentant le Baptême du Christ, pendant de la Cène exécutée six ans auparavant par son père. Dès lors, de nombreuses commandes privées ou publiques affluèrent. Portraitiste, peintre d’histoire religieuse et mythologique, Elisabetta Sirani devint le peintre à la mode. Sa réputation s'étendit jusqu´à Florence et Rome et Cosme de Médicis vint la visiter dans son atelier.
Acharnée de travail et devant subvenir aux besoins de sa famille (même si ses deux sœurs l'aidaient dans l'atelier) elle vivait en recluse, même si on lui prêta un amour platonique avec un élève de son père, Giovan Battista Zani.

L'émouvante gravure d'autoportrait d'Elisabetta Sirani, où elle se représente sous les traits de son père, sans doute beaucoup trop écrasant.

En 1660, elle n'avait que 22 ans, elle ouvrit un salon, puis une école de peinture réservée exclusivement aux femmes. Fort appréciée, ses œuvres étaient dans le goût de Guido Reni et elle remporta de nombreux succès, au point de provoquer la jalousie.
Un soir, prise de violentes douleurs, elle s'éteignit brusquement à l'âge de 27 ans, malgré l'intervention rapide des médecins convoqués à son chevet. Vu la rapidité et la soudaineté de sa mort, on pratiqua une autopsie qui révéla des trous dans son estomac et les médecins émirent l’hypothèse d’un empoisonnement. Les soupçons s’orientèrent immédiatement sur Lucia Tolomelli, servante d’Elisabetta Sirani, qui avait donné sa démission quelques jours avant la mort de l’artiste, démission refusée par les parents d’Elisabetta. Lucia fut emprisonnée, jugée, puis exilée avant d'être innocentée par un procès. On insinua alors que l'artiste se serait suicidée par amour. Il semble beaucoup plus simplement, d'après des études récentes, qu'elle mourut d'un ulcère à l'estomac, suite au surmenage que lui imposait son père, très exigeant, et à l’utilisation des pigments verts qui, au XVIIème siècle, contenaient de l’arsenic.


D'autres bolognaises se sont distinguées durant les siècles suivants, et il me semble juste de leur rendre hommage en les citant ici (d'après Maurizio Cavazza) :

Laura Bassi (1711-1774) , scientifique de réputation européenne
Anna Morandi Manzolini (1714-1774) , sculpteur sur cire inégalée
Clotilde Tambroni (1758-1817) , insigne docteur en lettres grecques
Maria Dalle Donne (1777-1842) première femme titulaire de la chaire d'obstétrique
Carolina Coronedi Berti (1820-1911) , qui s'est spécialisée dans l'étude du dialecte de Bologne
Clelia Barbieri (1847-1870) la plus jeune fondatrice d'un ordre religieux
M.Teresa Serego Alighieri Gozzadini (1812-1881) , patriote et femme très cultivée, et sa fille Gozzadina (1855-1899) qui laissa le patrimoine familial pour créer une fondation "della Clinica Pediatrica"
Carolina Pepoli Tattini (1824-1892) qui joua un rôle dans le Risorgimento
Adelaide Borghi Mamo (1829-1901) grande cantatrice. 
Argia Magazzari (1844-1934) grande actrice
Lina Bianconcini Cavazza (1861-1942), fondatrice du secteur des broderies de l'Aemilia Ars.
Alfonsina Morini Strada (1891-1959) l’unique femme cycliste qui courut le "Giro" avec les hommes !
Luisa Ferida ( 1914-1945), une actrice encore
Renata Viganò (1900-1976), écrivain.
Ondina Valla(1916-2006) médaille d'or aux jeux Olympiques de Berlin
Nilla Pizzi (1916-2011) chanteuse d'opérette
... et tant d'autres moins connues !


Mais puisque nous parlons de femmes à Bologne ... en voici deux qui étaient, ce jour-là, parfaitement hilares ! Ce n'est peut-être pas le portrait le plus "artistique" fait de nous par Alter, mais vous pouvez constater que l'ambiance était chaleureuse et que Siù et Michelaise étaient heureuses de se retrouver !!

Article dédié à Siù et à Jacopo 

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(1) On trouvait, dans la bibliothèque de son père, selon les inventaires, Les Métamorphoses d’Ovide, les Vies de Plutarque, la Naturalis Historia de Pline, le De claris mulieribus de Boccace, les Vies de Giorgio Vasari ainsi que des ouvrages plus techniques sur la perspective ou la composition des vernis utilisés en peinture. Giovan Andrea possédait également des sculptures de la main de Michel-Ange : de quoi assurer à la jeune femme une éducation poussée.
(2) À 17 ans, Elisabetta Sirani commença la rédaction d’un carnet énumérant et décrivant toutes ses œuvres, ce qui nous permet aujourd’hui de constater sa rapidité d’exécution, car en l’espace de 10 ans, elle répertoria 190 tableaux. 


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