Il est des traits de caractère qui, parfois, passent pour des vertus : ainsi en est-il de l'optimisme, propension s'il en est dont on n'est pas vraiment maître, et qui aurait, selon d'autres, un caractère irritant, voire néfaste. Il est d'usage, chez les Alter-Michelaise, de prétendre que l'un est d'un naturel pessimiste, et l'autre fondamentalement optimiste. Et les deux cohabitent, avec, on s'en doute, parfois quelques heurts, mais surtout, de la part de l'optimiste, un éternel étonnement et une réelle incompréhension des arguments négatifs de l'autre. Pourtant, cet autre est, il faut bien l'admettre à l'aune d'une statistique informelle, du genre "chanceux", disons que sa tartine beurrée tombe toujours du bon côté par terre, que sa voiture tombe en panne d'essence à 50 mètres d'une station service et que la plupart de ses problèmes trouvent une solution rapide, aisée et, le plus souvent, satisfaisante. Non que la malchance s'obstine contre l'optimiste : disons, en ce qui le concerne, qu'il bénéficie de la part du sort d'une bienfaisante neutralité qui, étant donné son caractère, lui paraît une forme atténuée mais efficace de la chance.
Quand j'évoque ici l'optimisme, je ne pense pas à l'état d'esprit, momentané et souvent fugace, qui est le nôtre quand nous recevons une bonne nouvelle ou que la journée nous a donné satisfaction. Je pense plutôt à celui qu'on peut nommer "trait de caractère" et qui repose sur la capacité d’imaginer facilement une issue favorable à ce qui va advenir, et l'aptitude à attribuer aux événements de la vie des raisons plus positives que négatives. Ce que Winston Churchill résumait ainsi : « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté». Etant donné notre dualité de caractère, la connaissance et la confrontation de ces deux aspects de la perception du monde nous est familière. J'ai donc été "accrochée" l'autre matin par l'interview de D'Alain Braconnier qui vient de publier chez Odile Jacob L'optimisme intelligent.
Il semble que, contrairement à ce qu'on pourrait croire au premier abord, pessimisne et optimisme ne reposent pas sur la possession ou l'absence d'un "gêne du bonheur" : même si l'on a prouvé qu'un tel gêne existe (mettant en jeu la neurotransmission de la sérotonine), il n'entrerait que pour environ 20% dans l'aptitude de chacun à voir les choses en rose ou en noir, avec une constance que rien ne modère réellement durant toute sa vie. L'optimisme serait plutôt, dans un premier temps, question de milieu familial. Selon l'épanouissement, la vie harmonieuse et riante de votre entourage, vous naissez avec un potentiel de bonheur plus ou moins grand, que des hormones positives permettront d'exploiter au mieux ensuite. Avec le paradoxe suivant : aux messages pessimistes de certains parents, certains évoueront dans le même sens, alors que d'autres réagiront par un optimiste exacerbé.
En gros, l'optimisme dépend d'abord de la psychologie et de la culture, mais il est favorisé par un outil physiologique, et plus précisément, hormonal. Il est aussi, les découvertes récentes tendent à le prouver, lié à une plus grande activité de certaines zones profondes du cerveau, en lien avec le cortex préfrontal. Mais ce ne sont pas les faceteurs physilogiques qui sont déterminenants : l'enfant qui a bénéficié d'un environnement sécurisant, aura naturellement une vision plutôt agréable de ce qui se passe autour de lui. Si son éducation a développé en lui l’estime de soi, le sens des responsabilités et le plaisir de vivre, il développera un meilleur rapport au monde, l'impression rassurante qu'il peut le contrôler ou au moins le modifer, et, donc, une anticipation plus positive de l'avenir.
L'optimisme est, du moins si l'on en croit Diderot, communicatif : « Il est de la nature de tout enthousiasme de se communiquer et de s’accroître par le nombre des enthousiastes.». Mieux, il semble avéré qu'il puisse, aussi, résulter d'un apprentissage... genre méthode Coué !! Reposant sur la confiance, en soi bien sûr mais aussi et surtout en l'autre, dont on n'attend, dans un premier temps, que le meilleur, l'optimisme est un puissant moteur d'action, d'ouverture et d'acceptation des responsabilités. Il permet de surmonter les peurs et d'éviter de remplacer le rêve par l'action, et la résignation, par la volonté de progresser. Il est aussi en corrélation naturelle avec notre besoin d'espérer, qui lui, est fondamental.
Surtout — Voltaire fut sans doute le premier à l'énoncer hardiment J’ai choisi d’être heureux parce que c'est bon pour la santé— cette disposition d'âme dont les bienfaits ne sont plus à prouver est, en plus, favorable à une meilleure santé . On découvre depuis une trentaine d’années que l’optimisme n’est pas bénéfique seulement sur le plan social et mental, mais aussi pour la santé (1). Facteur de résilience au stress, aux troubles de l’adaptation, à la dépression, il permet des effets positifs sur la vie affective, sociale, professionnelle, ainsi que sur les risques auxquels est exposée notre santé physique et mentale… C’est une vraie force !
Et pourtant, selon les sondages du réseau BVA-Gallup les français sont et restent les champions du monde du pessimsme : le résultat reste obstinémnt le même depuis 30 ans. Ce n'est donc pas lié à une crise économique, une morosité temporaire, ou un sentiment de déclin. C'est franchement culturel.
Certes, avoir une vision positive de l’avenir, passé le doux âge de l’enfance, suppose une petite dose de folie, voire d'inconscience, ou pour le moins une certaine capacité d’illusion. L’optimiste reste toujours convaincu de l'existence d’un ailleurs meilleur possible ou d’un futur source d’espoir. Les dîners en ville (auxquels nous n'assistons guère dans notre trou perdu) sont souvent l'occasion rêvée de se livrer, avec une certaine jouissace, au listage sinon exhaustif mais le plus complet possible de toutes les catastrophes qui nous attendent dans les décennies à venir. Une façon sans doute d'exorciser les angoises, de conjurer les peurs, de se préparer à affronter l'avenir. Et je puis vous assurer que l'élément "pessimiste" du couple Alter-Michelaise, ne participe guère au défaitisme général et en ressort accablé par l'inutilité de l'exercice. Peut-être, finalement, l'optimisme est-il contagieux ??
(1) En résumé, selon diverses études citées par Philippe Gabilliet dans « Eloge de l’optimisme, quand les enthousiastes font bouger le monde », il semblerait prouvé que :
- ont moins de jours d’arrêt-maladie que les autres,
- présentent une immunité renforcée face aux infections de toutes sortes,
- courent moins de risques d’être victimes d’un accident vasculaire cérébral,
- présentent moins de risques d’être atteints de certaines formes psychosomatiques d’asthme ou d’allergie,
- sont plus résistants au stress et aux épisodes dépressifs,
- ont un taux de survie supérieur aux autres après un infarctus,
- récupèrent plus rapidement après des chimiothérapies et ont des rémissions plus longues,
- vieillissent mieux, à la fois physiologiquement et psychologiquement, etc.
(2) Pour l’économiste Claudia Senik, qui a longuement étudié ce mystérieux « French paradox », il serait lié, en partie du moins, à l’éducation. Quand les petits Français rentrent de l’école, on regarde leurs mauvaises notes plutôt que les bonnes : le système scolaire français, sélectif et élitiste, se fonde sur un jugement systématique par hiérarchie de compétences, ce qui ne favorise ni la confiance ni l’estime de soi.