Quantcast
Channel: Bon sens et Déraison
Viewing all articles
Browse latest Browse all 313

TO THE POINT À BRUXELLES : l'école française

$
0
0

Lors de notre dernière escapade bruxelloise à l'occasion de l'exposition consacrée à Zurbaran, une seconde exposition organisée par l'ING nous a franchement passionnés. To the point est malheureusement terminé depuis le 18 mai, mais elle sera ensuite présentée à Indianapolis !!


C'est en 1886 que Seurat expose à Paris sa peinture « Un dimanche après-midi à l’Ile de la Grande-Jatte ». Faisant foin de l’immédiateté “romantique” de la peinture impressionniste, ce peintre cultivé, presque "cérébral", élabore une méthode picturale fondée sur des lois scientifique précises dont l'objet avoué est de révolutionner le concept même de l’art figuratif. Seurat ambitionne de trouver un lien entre l’art et la science : sa théorie, qui en séduira plus d'un mais n'aura, c'est étonnant, qu'une assez courte destinée, se fonde sur le concept d'optique, appelé le « chromo-luminarisme ». Reposant sur l'idée que la lumière résulte de la combinaison de plusieurs couleurs, il imagine et démontre qu'un ensemble de points colorés juxtaposés peuvent, observés depuis une certaine distance, recomposer l’unité de ton et rendre la vibration lumineuse avec d’avantage d’exactitude que la couleur pure. Ce sont les travaux qu'un chimiste français, Eugène Chevreul, avait menés à l'occasion de travaux de restauration de tapisseries, qui inspireront le plus le peintre. De l'art scientifique, à la fin du XIXème siècle, entre romantisme et rationalisme, l'idée fait des adeptes !!
En mélangeant un pigment rouge avec un pigment jaune, on obtient une "matière" orange, mais on enlève aux deux couleurs de base de la lumière. Seurat invente, en juxtaposant points rouges et points jaunes sur un fond clair qui reste légèrement visible puisque les points ne se superposent pas, de recréer l'impression orange. Un orange qui chante beaucoup plus car entre les couleurs pures il y a de la lumière et c'est notre œil qui fait la synthèse.


Ce film, présenté à l'exposition, a été réalisé par le CRDP de Basse-Normandie. Il propose une double lecture de l'oeuvre de Georges Seurat "Port-en-Bessin, avant port" peinte en 1888. Le point de vue plastique montre comment l'artiste cherche à échapper à la synthèse soustractive en utilisant le pointillisme, les contrastes colorés et le mélange optique. Ces recherches inspireront le système de la quadrichromie. Le point de vue scientifique revient sur la synthèse additive et le fonctionnement du téléviseur qui utilise le pointillisme et le mélange optique.

La toile de Seurat attire l'attention de ses collègues belges qui, l'année d'après, l'invitent au Salon des XX. Ses théories sont accueillies avec enthousiasme par ce groupe de peintres progresistes et Bruxelles devient, pour quelques années, la plate-forme d'échanges d'idées nouvelles et le berceau de ce qu'on a appelé le néo-impressionnisme.
L'’école française, dont les protagonistes seront Georges Seurat, mais aussi Paul Signac, Lucien Pissarro, Maximilien Luce, Henri Delavallée, Henri-Edmond Cross, Achille Laugé, utilise cette nouvelle technique essentiellement pour réaliser des paysages. Mais l'exposition a préféré se centrer autour du portrait car les belges ont utilisé la technique divisionniste de la couleur d'une façon très originale, démontrant qu'elle était parfaitement applicable à la réalisation de portraits intimistes, psychologiques, alliant grande profondeur et recherche de luminosité.

Paul Signac, portrait de ma mère, opus 235 - 1892
Collection privée

C'est donc tout naturellement que l'exposition s'ouvre sur le portrait de la mère de Signac par l'artiste suivi de près par un portrait du même Signac par Seurat. Signac ne fit, en tout et pour tout que 4 portraits, et Seurat un seul sur toile, et quelques dessins. Ces oeuvres introductives ont été choisies pour faire saisir au visiteur ce que l'on pourrait appeler « la touche française » du portrait néo-impressionniste : une certaine distanciation par rapport au modèle, un éloignement voulu, des attitudes retenues, une certaine froideur élégante… Présentée en strict profil sur un fond de verdure qui se termine en arabesques sur un paysage marin, madame Signac pose avec une décontraction élégante, insensible au spectateur ou à la présence du peintre. Elle regarde, en affectant un air presque dédaigneux, un modeste œillet qui ne semble pas mériter une telle attention. Son visage un peu empâté, sévère, sévère, est penché en avant et elle baisse les yeux sur la fleur. Ses cheveux grisonnants strictement tirés en chignon, l'unique perle qui orne son oreille contredisent par leur sévérité sa mise assez froufroutante.


La robe bleu aux volants sombres est mise en valeur par le muret orange devant lequel le peintre a placé son modèle. Une transition jaune, la plage, mène l'oeil vers les teintes doucement bleutées de la mer et celles, plus franches, des arbres. Le feuillage tourbillonne et frémit à la légère brise marine qui baigne cette scène. L'ensemble est un peu guindé mais non dépourvu d'un certain charme.

Achille Laugé - Autoportrait au béret blanc 1895-96
Collection de Robert Bachmann à Lisbonne

Les autres pointillistes français qui ouvrent l'exposition Albert Dubois-Pillet, et surtout Achille Laugé présentent eux aussi des personnages calmes, presque figés, perdus dans leurs pensées et le regard dans le vide. Laugé, le peintre d'Arzens, dans l'Aude, ami de Bourdelle et d'Henri Martin, est à cet égard particulièrement représentatif de ces portraits néo-impressionnistes statiques, presque froids.

Achille Augé, portrait de la femme de l'artiste, contre jour 4899
Musée d'Orsay, Paris

Ses personnages (souvent sa femme, une fille de la région) sont massifs et sculpturaux (je pensais à Piero della Francesca !) : il fut un ardent pratiquant du divisionnisme qu'il pratiqua, malgré l'insuccès dont il était victime, durant une bonne partie de sa carrière. Il en joue dans les portraits avec une douceur extrême, privilégiant des lumières inusitées (comme dans ce portrait de Madame en contre-jour où il met son visage dans l'ombre, concentrant toute la lumière sur le paysage de fond) et des mises en espace audacieuses. 

Achille Laugé (1861-1944) Portrait de Madame Astre, 1892. 
Carcassonne, musée des Beaux-Arts

Le portrait de Madame Astre est, à cet égard, particulièrement frappant. Laugé était soutenu par un petit cénacle d'amateurs d'art, dont Achille Astre, qui était d'ailleurs le secrétaire de Gustave Geffroy (un journaliste et critique d'art ami de Clémenceau et qui participa à La Justice et à l'Aurore), et Laugé fait donc le portrait de sa femme. La main posée sur un journal, le modèle nous regarde en souriant et seules ses lèvres posent une tache de rouge dans cette composition immaculée. Un critique américain a même parlé de "femme en forme de bouteille de lait" ! La silhouette, compacte, est traité comme une sculpture, en volume. Et dans cet univers crayeux, le peintre a su rendre une infinité de nuances de blancs, traités en pleine lumière.

Henri Lavallée - Le groom ou Le cireur de bottes - 1890
Roberto Polo Gallery, Bruxelles

Parmi les français, seul "Le Groom ou Le cireur de bottes" d'Henri Lavallée présente un personnage dans une pose assez naturelle : sur fond de papier peint fleuri, qui évoque une chambre, un jeune garçon en pantoufles (ce qui me fait penser que ce n'est pas un groom mais bien un adolescent qui vient de cirer ses chaussures) et veste d'intérieur à carreaux, tient à la main un exemplaire de Gil Blas, qu'il lit en jetant un oeil de côté, les joues rosies. Mon interprétation personnelle ne correspond pas du tout au titre proposé : l'enfant avait soigneusement posé les chaussures à cirer sur un journal pour protéger le sol. Il a terminé sa tache et en profite pour lire un feuilleton de la publication dont la devise était La devise du journal était « Amuser les gens qui passent, leur plaire aujourd'hui et recommencer le lendemain ». On peut imaginer d'ailleurs, vu son regard de côté pour s'assurer que personne ne le voit, qu'il n'a pas accès d'ordinaire à ce journal, sans doute réservé aux adultes.

Maximilien Luce, Le lever, intérieur, 1890, Détail. The Metropolitan Museum of Art, legs de Mlle Adélaïde Milton de Groot (1876–1967), 1967. 

Maximilien Luce, quant à lui, a peu réalisé de toiles pointillistes, mais, ami de Seurat, il est invité en 1889 et 1892 à Bruxelles, et c'est dans ces années-là qu'il peinte le Lever, petite scène intimiste aux couleurs chatoyantes et d'une spontanéité rare : plus scène de genre que véritable portrait.

Lucien Pissaro, Intérieur de l'atelier de l'artiste - 1897
Indianapolis Museum of Art, don en mémoire de Robert Ashby

Une dernière toile "française" mérite qu'on s'y arrête : c'est cet interieur d'atelier, peint par Lucien Pissaro qui représente son jeune frère, Paul-Émile, âgé de 13 ou 14 et s'essayant à peindre devant une fenêtre. Paul-Emile sera lui aussi peintre, et la toile est intéressante car, manifestement le jeune homme travaille ici selon la technique pointilliste : il y a faut une lumière intense, le pinceau est tenu de façon très particulière, sans doute assez fatigante et tout à fait perpendiculaire à la toile. On l'imagine, la technique demande une concentration extrême, et provoque chez l'artiste une tension et une patience qui en décourageront plus d'un à continuer dans cette voie !



A suivre : To the Point : l'école belge

Les reproductions de l'article proviennent essentiellement de captures d'écran des deux émissions consacrées par Télé Bruxelles à l'exposition. D'autres proviennent du site de l'exposition (vidéo et photos)

Viewing all articles
Browse latest Browse all 313

Trending Articles



<script src="https://jsc.adskeeper.com/r/s/rssing.com.1596347.js" async> </script>