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ZURBARAN : BOZAR (2)

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Plat avec citrons, panier avec oranges et tasse avec rose Vers 1633 -
 Norton Simon Foundation, Los Angeles
4 citrons dans une assiette métallique ; dans un panier d'osier tressé, des oranges surmontées d'une branche de fleurs d'oranger ; et, à gauche, la tasse fétiche de Zurbarán, accompagnée d'une rose coupée ras. Un subtil équilibre entre les tons dorés des fruits et du panier, et les tons froids des assiettes d'étain et de la tasse, entre la rugosité de la peau des agrumes et le poli des plats, de la tasse, voire même de la table donne à l'ensemble un air de profonde sérénité, comme une invitation à la méditation. Les trois motifs seraient d'ailleurs une allusion à la Sainte Trinité, les fleurs d'oranger, la rose et l'eau étant, elles, un hommage à la pureté de Marie.

SALLE 4 - Natures mortes

Quoique rare, la production de natures mortes par Zurbarán reste d'une originalité sans précédent. Certains éléments de ces natures mortes étant présents dans des compositions religieuses de plus grande envergure -c’est notamment le cas de la Tasse d’eau et rose qui réapparaît, entre autres, dans la peinture La Guérison miraculeuse du bienheureux Réginald d’Orléans - on pourrait penser à des études préparatoires. Pourtant le travail minutieux de leur mise en espace, le soin jamais pris en défaut du choix de l'éclairage, de la composition et la description minutieuse des textures, des couleurs, des matériaux, en font des oeuvres d'art à part entière dont la simplicité poétique nous séduit particulièrement.

Tasses et vases - Vers 1633 - Musée du Prado, Madrid 
Une nature morte "minérale" : rien de corruptible ni d'organique ici, rien qui évoque la leçon de morale habituelle des natures mortes classiques : les ravages du passage du temps. Rien de symbolique non plus, aucun objet qui évoque la Bible ou quelque saint. Le sujet du tableau ici c'est exclusivement la lumière.

Les objets sont choisis avec goût et précision par le peintre, dans une perspective à la fois symbolique et poétique. Arrangés avec soin pour capter au mieux l'éclairage qui les baigne, il les dispose avec une simplicité presque ostentatoire devant un fond obscur, neutre, qui les met en valeur. La lumière traverse la pénombre. Et le peintre s'attache à décrire avec minutie textures, couleurs et matériaux. Derrière une apparente simplicité, les objets les plus humbles prennent sens et vie, Zurbarán les peint d'un trait ferme et vigoureux, il leur donne relief et leur confère ainsi une sorte de dignité intemporelle.

Tasse d’eau et rose, ca 1630 London, The National Gallery

Un de ses thèmes de prédilection en la matière est la tasse blanche, élégante avec ses deux petites anses recourbées, posée sur une assiette d'étain aux reflets discrets sur le bord de laquelle on a négligemment posé une rose aux teintes douces. L’eau limpide et pure qui emplit la tasse de porcelaine fine évoque, confirmée par la fleur, la maternité virginale de Marie. Le sujet le plus sobre du monde prend, sous son pinceau sans emphase, presque minimaliste, une dimension résolument méditative.

Agnus Dei 1635-1640 - Socorro, Madrid

SALLE 5 - Passion et compassion

Tout au long de sa carrière, Zurbarán réalisa un grand nombre de Christ en croix, thème particulièrement prisé par les défenseurs de la Contre-Réforme. Une autre image hautement dramatique, celle de La Sainte Face ou Voile de Véronique, rappelle, en le magnifiant, le moment où le Christ a pris le chemin du mont Calvaire. Mais on retient surtout de cette salle l'agneau du sacrifice qui fascine encore le spectateur. L'Agnus Dei, isolé devant un fond plongé dans une obscurité totale, un agneau aux pattes entravées, est d'une efficacité mystique redoutable : il symbolise le Christ livré sans défense au supplice, comme l’a prophétisé Isaïe (Is 53, 7).

Agnus Dei, ca 1634-1640 
San Diego, The San Diego Museum of Art, donation de Anne R. & Amy Putnam

Celui présenté à Bruxelles, la version du musée de San Diego (ci-dessus) est encore plus vulnérable que celui de Madrid, doté de cornes naissantes et plus naturaliste. Celui de San Diego est tellement jeune, tellement fragile qu'il incite à la pitié immédiate.

Détail de l'Adoration des bergers du retable de Jerez - 1638-39
 Musée des Beaux-Arts de Grenoble

On le retrouve dans d'autres toiles du maître, que ce soit, comme dans l'Adoration des Bergers, abandonné les pattes liées et l'air misérable, préfigurant le sacrifice de l'Enfant qu'on adore...

Détail de "Vierge à l'enfant avec Saint Jean-Baptiste", 1662
Musée de Bilbao.

... ou figurant paisible, mais pourtant symbolique, dans la Vierge à l'Enfant et Saint Jean du musée de Bilbao, oeuvre de la fin de sa vie qui montre combien le peintre était attaché au sujet.


SALLE 6 - Peintre de cour

En 1634, Zurbarán est appelé à la cour pour contribuer à la décoration du salon des Royaumes, centre des cérémonies du palais du Buen Retiro, à Madrid. Chargé de peindre deux grandes scènes de batailles représentant la défense du site de Cadix, ainsi que les Travaux d’Hercule, le peintre aborde là, pour l'unique fois de sa carrière, le domaine de la mythologie.
Mais ce passage à la cour est surtout pour Zurbarán l'occasion de pouvoir contempler la collection royale de peintures, ce qui marquera son oeuvre, avec l’ouverture de ses compositions au paysage et l’emploi d’une palette plus haute en couleur. Il peint aussi des portrait, dans lesquels l’influence de Vélasquez est sensible comme celui de Don Alonso Verdugo de Albornoz, où l’aristocrate se détache sur un fond sombre, comme chez son ami.

La Vierge enfant endormie, ca 1655-1660 
Jerez de la Frontera, Cabildo Catedral de San Salvador 

SALLE 7 - La mystique du quotidien

Zurbarán aime aussi faire appel à une forme d'émotivité religieuse plus immédiatement accessible, moins mystique. Il peint des moments intimes propres à toucher et émouvoir le spectateur, situant l'action dans la vie terrestre des saints personnages, désacralisant leur quotidien, qui est aussi le nôtre, nous touchant par la même avec plus d'immédiateté que par la représentation de l'extase, réservée aux "grandes âmes". La fillette vêtue de rouge, qui tient encore fermement, dans sa main gauche, un livre dont elle marque la page de l'index, ne dort pas, comme le suggère le titre mais elle médite, les yeux clos. Appuyée contre la chaise près de laquelle elle est assise, à terre, comme une Vierge d'humilité, elle se laisser bercer par la musique des mots, sacrés, qu'elle vient de lire.


Le fond de la toile est sombre, presque uni, pourtant Zurbarán y pose délicatement, sur une table au tiroir ouvert, une assiette d'étain, brillante, dans laquelle se reflète une élégante porcelaine contenant trois fleurs emblématiques de la jeune fille représentée : le lys, qui dit sa pureté et sa virginité, la rose sans épine qui évoque l'universalité de son amour et enfin l'oeillet qui annonce la Passion du Christ et la victoire de l’amour sacré dans le monde divin 


La Maison de Nazareth, 1635
Musée des Beaux-Arts de Cleveland : ce thème, longtemps connu uniquement par des répliques d'atelier, a été identifié dans les années 60 comme étant de la main du maître. L'original, connu pour être sorti d'Espagne durant les guerres napoléoniennes (signalé lors de sa vente à Paris par le ministre danois, le comte de Walderstoff en 1821) pourrait bien être cette version, qui n'était pas celle exposée à Bruxelles.

Dans La maison de NazarethZurbarán propose une composition audacieuse : au ras du sol, les deux personnages sont assis sur des tabourets bas, leur visage arrivant tout juste au niveau de la table de bois à la perspective relevée à laquelle nous a habitués l'artiste. Le peintre a organisé l'espace autour de la diagonale qui va du jaillissement de lumière divine en haut à gauche jusqu'au couple de colombes, en bas à droite. A la "pyramide" imposante de la Vierge, correspondent celles, de plus en plus discrètes, de Jésus vêtu d'une ample robe bleue, des deux pigeons, et, plus aplatie, de la corbeille de linge, au centre. La scène, imprégnée d'une douceur domestique un peu mélancolique montre Jésus enfant, blond, bouclé, en train de tresser une couronne de ronces. Il s'est piqué le doigt et contemple son index blessé, sans doute pour tenter d'en retirer l'épine qui le blesse. Sa mère, assise près de lui, interrompt son travail de couture pour regarder son fils, le visage imprégnée d'une infinie tristesse. L'anecdote est, bien sûr, symbolique de la Passion future et la lumière divine qui éclaire la scène par la gauche marque au sceau de la fatalité. Mais ce qui est admirable dans cette toile est l'ambiance simple et sereine qui émane de cet épisode intimiste.


La corbeille de linge posée aux pieds de la Vierge, les livres abandonnés sur la table de chêne, dont un encore ouvert évoque une lecture en cours, de nouveau le tiroir entrouvert, la tasse posée en bas à gauche... la maison vit, il y règne même un aimable désordre, animé par le délicieux bouquet de fleurs posé à droite et par les poires restant d'un précédent repas.

La Maison de Nazareth, 1644-45
Madrid, Fondo Cultural Villar Mir

L'autre caractéristique remarquable du tableau dont la version de Madrid présentée à Bruxelles est la plus éclatante démonstration, c'est son chromatisme extraordinaire. La version de Cleveland est, à cet égard, de moindre qualité me semble-t-il. Dans celle de Madrid les couleurs explosent et chantent, contredisant par leur harmonie contrastée le calme apparent de la scène : au bleu légèrement violine de la robe de Jésus, répond le rouge ardent du manteau de Marie, repris par la tranche du livre posé sur la table. Soulignés par l'éclat immaculé de quelques linges blancs, deux taches de vert (le coussin sur lequel s'appuie Marie) et de bleu (le vêtement qui sort de la corbeille), francs, presque purs, construisent une seconde diagonale qui croise la première, suit l'inclinaison pensive de la Vierge, et va se perdre dans la fenêtre ouverte entrevue en haut à droite. C'est à la fois savant et d'une simplicité confondante.



L’Immaculée Conception, ca 1635 Sigüenza, 
Museo Diocesano de Sigüenza (Fundación Perlado Verdugo, Jadraque)

SALLE 8 - Images de la Vierge

Le 8 juin 1630, le conseil municipal de la ville de Séville commande à Zurbarán un tableau de l’Immaculée Conception, bien que le sujet représenté ne soit pas encore considéré comme un dogme. Marie est très jeune, pleine de pureté virginale et de candeur, elle repose sur un piédestal composé de têtes de chérubins et par un croissant de lune quasi transparent. Au-dessous d'elle, la partie terrestre de la composition est composée d'une marine, où l'on distingue un port et un navire, toutes voiles déployées. La partie céleste s'organise en un fond de nuages dorés où flottent des angelots et où s'estomptent les symboles des litanies : la port du ciel (porta celi), la tour de David, la cité de Dieu, la fontaine, le puits, le miroir sans tache et enfin le jardin clos. Zurbarán cultivera ce schéma d'une Vierge toute jeune, en le reprenant tout au long de sa vie, comme le montre notamment la peinture conservée à Langon, exécutée en 1661 avec une technique infiniment délicate. Il représente aussi la Vierge d’intercession ou la Vierge protectrice des frères chartreux ou mercédaires, pleine de tendresse et de délicatesse.


Voir aussi :
Zurbarán : l'exposition Bozar (1)
Zurbarán : l'exposition Bozar (3)


La plupart des reproductions de ces articles proviennent de Wikipaintaing ou du site de l'exposition Zurbarán de Ferrare
Ouvrages utilisés pour les données historiques et biographiques : Zurbarán par Paul Guimard aux Editions du temps et le catalogue de l'exposition Bozar.


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